Rosa Laviña
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Camp n°9 d'Argelès-sur-Mer
Militante anarchiste, Rosa Laviña Carreras (1919 - 2011) fut durant la Guerre d’Espagne secrétaire de la Fédération Ibérique des Jeunesses Libertaires (FIJL). Lors de l'exode de 1939, elle est dirigée avec un groupe de femmes, du Boulou vers Brûlon dans la Sarthe. En novembre 1939, elle est transférée au camp n°9 d’Argelès-sur-Mer où elle sera internée à deux reprises. A sa sortie du camp, où elle a travaillé comme infirmière, Rosa Laviña s’installe à Montauban. Sa maison servira, pendant et après l’Occupation, de point de passage de nombreux groupes clandestins revenant ou allant en Espagne. Rosa Laviña continuera à militer après la guerre à Toulouse notamment.
Nous sommes restées deux jours dans le train, mais il se trouve que pendant le voyage, un groupe de femmes, dans un autre wagon, suivait notre trajet sur une carte ; elles se sont aperçues que l’on se dirigeait vers le sud, vers l’Espagne ; elles sont passées dans tous les wagons pour nous prévenir, expliquant que quelques jours auparavant, un convoi comme le nôtre avait été dirigé vers le Pays Basque et conduit en Espagne, sans demander l’avis des gens. Elles nous ont dit de préparer nos valises, nos paquets, et quand le train s’arrêterait, on devrait tout jeter par la fenêtre et descendre du train. Tout le monde était d’accord. Mais je ne sais pas pour quelle raison, dans un tunnel, en pleine nuit, l’alarme a retenti, nous avons jeté nos affaires hors du train ; comment imaginer, sans l’avoir vécu, la pagaille et la panique qui se sont emparées de tous. Les machinistes étaient fous d’inquiétude, ils criaient que nous étions en danger de mort au cas où nous aurions croisé un autre train, que ce serait un carnage. Ils ont demandé aux femmes qui avaient organisé ça de faire remonter tout le monde dans le train, en promettant que quand il ferait jour, on s’arrêterait et on nous dirait où on nous emmenait. Tout le monde était remonté, et quand il a fait jour, on était en gare de Perpignan ; les craintes que nous avions eues étaient donc fondées, et si nous n’avions pas réagi, on se serait sans doute retrouvées en Espagne. Les gendarmes sont passés dans tous les wagons pour dire que celles qui n’étaient pas d’accord pour retourner en Espagne seraient dirigées vers un camp de concentration. J’ai parlé avec ma mère, je lui ai dit qu’elle pouvait, si elle le souhaitait, retourner en Espagne avec la petite Pilar, mais que moi je n’y retournerais pas tant qu’il y aurait Franco. Elle m’a répondu qu’elle n’y retournerait pas sans moi, et nous sommes descendues toutes les trois. D’abord, on nous a emmenées dans une écurie pour chevaux de course ; il n’y avait pas de lit, et pendant quinze jours, sans se déshabiller, nous avons dormi sur de la paille, sans draps. Certains enfants en bas âge sont morts de malnutrition. Une infirmière nous a dit : “le bon lait, c’est pour les enfants français”, nous, nous n’avions droit qu’à de l’eau teintée de lait. Au bout de quinze jours, on nous a embarquées dans des camions ; il y avait quelques réfugiés espagnols venus du camp, qui nous aidaient à porter nos bagages. Et quand on est descendu, je me souviens, il commençait à faire nuit, et le gars qui a pris ma valise, dans l’obscurité - je ne saurais pas le reconnaître - m’a dit “ànimo, compañera, dentro de tres meses estaremos en casa” (courage, camarade, dans trois mois nous serons à la maison). Trois mois après nous étions toujours là. Nous étions au camp d’Argelès.
On nous a dit de nous installer où on voulait ; il y avait des baraques, nous étions au moins à l’abri du froid, alors que les premiers réfugiés du camp, des mois avant, avaient dû dormir à la belle étoile. Nous avons choisi une baraque sans plancher ; à Brûlon nous dormions sur le plancher et il nous semblait que le sable serait plus … confortable. Le lendemain matin, on a cherché une cabane avec du plancher, le sable était trop humide. Nous étions une quarantaine de femmes et d’enfants, nous nous connaissions un petit peu, et dans la baraque, on s’est installé, sans paillasse, une couverture de l’armée par personne ; comme on y est resté un an, on a eu très froid l’hiver ; donc, on se mettait trois par trois, bien serrées, et comme ça on avait trois couvertures. On était jeunes, on a supporté ; pour les personnes âgées, c’était plus pénible; la nourriture était mauvaise, on ne pouvait pas sortir du camp.
Rosa Laviña. Mémoires. Toulouse, février 2007. Document inédit. Transcription René Lafont et Marisol Costa. Arxiu Municipal de Palafrugell. Fons Rosa Laviña Carreras
Infirmerie du camp d’Argelés-sur-Mer1939-1940.
De gauche à droite Clemen, Dr. Verdaguer, Rosa Laviña et le pharmacien Sr. Serra. Arxiu Municipal de Palafrugell. Fons Rosa Laviña.