Manolo Valiente
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L'évacuation forcée des brigadistes
Gravement blessé sur le front en 1937, Manolo Valiente (1908 - 1991) est évacué à Figueres le 7 février 1939. Il est conduit dans divers hôpitaux à Perpignan, Carcassonne et Lézignan, avant d’être transféré en juillet 1939 à la maison des « invalides » du camp du Barcarès. Manolo Valiente ne sortira qu’en novembre 1942 après avoir connu le camp de Bram et le camp d’Argelès-sur-Mer où il participe à la vie culturelle en écrivant le livre « Arena y viento ». Il publiera plus tard ses mémoires. Celles d’un « vilain rouge dans le sud de la France ».
Depuis quelques jours, tous étaient surpris de voir s'approcher peu à peu de la plage un grand bateau dont on pouvait apercevoir assez bien, vu la proximité, les canons pointés vers le camp. On sut plus tard qu'il s'agissait d'un garde-côtes armé .
Un matin de bonne heure, on vit arriver sur la route qui traversait le camp plusieurs autobus, pleins de gendarmes mobiles en uniforme de combat . Tout de suite circula la rumeur que le but de cette opération était d'embarquer tous les hommes des Brigades pour les amener sur le chantier de construction du chemin de fer appelé "Transsaharien", selon les ordres du gouvernement de Vichy, gouvernement de la zone libre pendant l'occupation allemande du reste de la France . Ce fut un matin terrible, dur et silencieux . Triste et angoissant . L'évacuation, semblait-il, ne se passait pas bien . Les hommes résistaient en gardant le silence à l'appel de leurs noms . En tout, dans la matinée, une douzaine parmi lesquels l'ami avocat roumain . L'après-midi, il y eut une nouvelle tentative jusqu'à ce que, sur ordre supérieur, on cesse les opérations.
Les incidents les plus graves ne commencèrent que vers trois heures de l'après-midi, quand on vit un véhicule de l'intendance du camp se diriger vers l'hôpital . Celui qui le conduisait se mit à crier qu'il transportait des blessés et aussi : " Ils sont en train de tuer nos frères des Brigades!". Il cria encore la même chose en passant devant le camp des femmes, lequel se trouvait sur le chemin de l'hôpital . Il s'ensuivit une grande agitation chez ces dernières, qui désarmèrent les gardes et se dirigèrent furieuses vers le camp des hommes pour les insulter et les provoquer . A ce moment-là, le total des internés devait s'élever, sans compter les brigadistes, à trois cents ou quatre cents personnes, malades et invalides compris . Les hommes gardèrent leur calme et, grâce à cela et aussi parce qu'elles apprirent que l'évacuation par la force ne continuerait pas, les femmes se retirèrent dans leur camp . Après ces événements, c'est-à-dire vers la fin de l'après-midi, Juan fut appelé au poste de commandement du colonel, qui le fit entrer immédiatement et, debout derrière son bureau, lui dit : " Le comportement des hommes m'a évité de commettre un acte qui aurait été la plus grande catastrophe de ma vie, car si vous étiez intervenus, j'avais ordre d'ouvrir le feu contre vous tous " . Puis il ajouta: " Ah ! Les femmes espagnoles ! Erasme en aurait parlé dans son Eloge de la folie ! " .
Extrait de Un vilain rouge dans le sud de la France, introduction et traduction de Jacques Issorel, édition Mare Nostrum, 2009. Avec l’aimable autorisation de Jacques Issorel.
Illustration de Manolo Valiente du poème Nostalgie, extrait d’Arena i Viento, DR.